« Le plaisir de haïr » – Introduction

Le Café Psy du 03.04.14

plaisir hairCe soir, nous vous proposons d’aborder la part de plaisir que peut contenir la haine. Mais avant d’aborder le plaisir, définissons déjà ce qu’est la haine.

Elle se distingue des autres sentiments négatifs par son désir de destruction de l’autre. Elle supprime le droit à vivre. Haïr, c’est tuer virtuellement. « Haïr, c’est assassiner sans relâche » écrit le philosophe José Ortega y Gasset.

La haine exige la disparition de sa cible. Fondée sur le déni de l’autre et de sa subjectivité, pour le haineux, la haine dessèche l’être qu’il veut détruire.

Dans sa forme la plus aboutie, la haine conduit au génocide. Mais heureusement, dans nos vies quotidiennes, nous ne tuons pas les gens, nous nous contentons de l’imaginer. Nous pouvons nous « rattraper » avec des mots, qui nous permettent de tuer symboliquement. Par exemple, lorsque notre conjoint nous a trahi. Nous pouvons avoir envie de le détruire, de lui arracher les yeux, de lui crever les pneus de sa voiture, mais le plus souvent, c’est en paroles que nous lui faisons mal.

La haine répond à une pulsion agressive, voire à une pulsion sadique. Comme toute pulsion, elle s’impose. Ses manifestations ne se contrôlent pas. Elle peut se ressentir physiquement par des tensions musculaires, par des douleurs dans le plexus ou dans le ventre. Et elle nous entraîne dans la mise en scène fantasmatique de la destruction de l’autre.

D’où vient-elle ?

Les premières manifestations de haine s’expriment lorsque le bébé voit le sein de sa mère se refuser, le faire attendre, et qu’il ressent la douleur de la faim. Il ressent alors la frustration de ses besoins et de son désir, il ressent de la rage, de l’impuissance. Et plus important que tout, il découvre sa dépendance.

Cet état que nous avons tous traversé en tant que bébé s’est engrammé à la fois dans notre corps et dans notre inconscient. Nous avons oublié ces sensations, mais pour la plupart d’entre nous, elles sont tapies, prêtes à resurgir à la moindre occasion.

Comment se déclenche-t-elle ?

La haine est une réaction à une douleur. C’est la douleur qui déclenche la haine. Mais pas n’importe quelle douleur. Des douleurs liées à la perte, à la frustration, ou à la peur par la faute – réelle ou imaginée – d’un autre.

La perte, c’est la souffrance d’avoir été privé de quelque chose que nous pensions nous appartenir, comme un dossier qui nous aurait été soufflé par un collègue de bureau, ou d’avoir été privé d’une partie de soi comme sa dignité, par exemple, en cas d’humiliation, voire son intégrité en cas d’agression).

La frustration, c’est ne pas obtenir ce que l’on souhaitait et pensait obtenir. Ce n’est pas la frustration qui engendre directement la haine, c’est le dépit provoqué par la frustration.

La menace, la haine peut aussi venir de l’angoisse de la perte, de la peur.

Ce qu’il y a de commun à toutes ces situations, c’est la dépendance à l’égard du responsable de notre souffrance. Cette dépendance peut être de nature affective, financière, politique… L’effet est le même, nous sommes à la merci de l’autre. Nous sommes dépendants de ce que nous haïssons. Et cette dépendance – insupportable – contribue à nourrir notre haine. Si détester montre qu’il y a eu séparation, haïr au contraire, parle de la non séparation.

Tabou et culpabilité

Dans notre société, haïr est inacceptable. Nous résistons tous, plus ou moins, à assumer nos pulsions destructrices. Nous nous sentons coupables, et nous préférons encore nous sentir coupables plutôt que mauvais. Ou encore ne rien ressentir du tout, au niveau conscient, plutôt que de nous sentir coupables ou haineux.

Nous pouvons aussi, inconsciemment, déplacer notre sentiment de haine vers d’autres cibles plus acceptables, en haïssant par exemple notre patron plutôt que notre père. Ou encore nous pouvons transformer ce sentiment de façon radicale, comme l’enfant qui adule au lieu de haïr ce nouveau bébé qui lui a ôté l’exclusivité de ses parents. Une façon pour lui de se protéger de ses fantasmes de destruction et de la culpabilité qu’ils engendrent. Oui, nous pouvons adorer ce que nous ne nous autorisons pas à haïr.

Et le plaisir, alors ?

Maintenant, il est temps de parler du plaisir de haïr, que nous allons aborder sous deux aspects : La jouissance d’une part, le plaisir de l’autre. Nous ne parlons pas de jouissance sexuelle, bien sûr, mais de la jouissance au sens psychanalytique, c’est à dire l’apaisement d’un état de tension.

Dans la haine, nous fantasmons l’agression de l’autre pour jouir de le voir souffrir. Mais dit comme cela, on pourrait croire à de la méchanceté gratuite. Il n’en est rien, bien sûr, ou alors, nous sommes tous méchants !

Ce qui déclenche la haine, c’est surtout le sentiment d’impuissance contre celui qui nous inflige une douleur. Or imaginer des scénarios destructeurs, imaginer la mort symbolique, la souffrance de l’autre, c’est renouer avec notre sentiment de puissance, de contrôle de notre propre vie. Là, se situe la jouissance. Nous avons tous déjà rejoué en imagination un dialogue humiliant ou frustrant en lâchant, enfin, toutes les réparties acides qui ne nous sont pas venues sur le moment ou que nous ne nous sommes pas autorisées à exprimer. Pendant que nous imaginons la scène, la tension due à la haine se relâche.

Du côté du plaisir, comme le souligne Joan Rivière,  lorsque nous devenons capables d’accepter à la fois la fatalité et l’importance potentielle de nos pulsions destructrices, notre peur à leur égard diminue et nos réactions peuvent être maîtrisées. Nous pouvons alors trouver des moyens pour utiliser notre haine à des fins constructives.

Oui, face à l’interdit, il y a du plaisir à expérimenter la haine dans un cadre protecteur. Le cabinet d’un psychanalyste en est une bonne illustration. Là, notre peur de revivre ces émotions s’atténue et notre inconscient peut s’ouvrir et laisser notre humanité s’exprimer.

Oui, il y a plaisir à connecter cette émotion, à l’apprivoiser, à découvrir la liberté qu’une telle expérience procure. Elle atténue la peur, elle transforme l’émotion en signal d’alerte d’un désir ou d’un besoin non satisfait. Elle permet de rire de nos manques plutôt que de nous affoler de notre peur de manquer. Alors, elle peut permettre d’ouvrir le dialogue, le questionnement et elle élargit le champ de l’expérience et de notre lien aux autres.

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