« Amour et dépendance » – Introduction

Le Café Psy du 29.04.14

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Ce soir, nous avons choisi de commencer cette introduction par une citation: « Et plus elle m’idéalisait sans restriction, plus je lui reconnaissais un réel pouvoir sur moi. Elle était le remède à toutes mes angoisses. Un simple regard de sa part dissipait ma solitude. Elle donnait à ma vie un sens et une direction ; son sourire faisait de moi un être désirable et m’absolvait de toutes mes pulsions bestiales. Quel étrange amour, chacun se dorait au soleil de la magie de l’autre ! » Irvin Yalom, in Et Nietzsche a pleuré  (Paris – Galaade édition)

Au commencement était le vide… Une béance que quelque chose doit venir emplir. Nous ne parlons pas ici des premiers mois d’une relation amoureuse où, bien souvent, le sentiment de fusion nous laisse un temps penser que nous ne sommes plus rien sans l’autre, mais d’un couple au long cours qui verrait ces symptômes perdurer dans le temps.
Dans le vocable « dépendance amoureuse » ce qui compte, c’est le mot « dépendance ». La dépendance affective connaît les mêmes alternances entre extase et souffrance que la dépendance à un produit toxique comme l’alcool ou la drogue. Ces émotions sont liées à la présence ou l’absence de satisfaction -la consommation d’un produit dans un cas, la présence de l’être aimé dans l’autre. A cette différence près que les émotions associées à la dépendance affective sont très souvent valorisées, voire idéalisées, notamment par la religion ou la littérature. Elles prennent la forme de la « passion », du « dévouement », du « grand amour », ou du « désespoir amoureux ». Alors que le plaisir ou le manque associés à la drogue sont systématiquement condamnés.

Mais que recouvre au juste la dépendance affective ?

Pour faire simple, disons qu’il y a deux formes de dépendance : l’une ouverte et visible de l’extérieur, l’autre plus masquée, mais non moins toxique.La première, nous l’avons tous déjà observée, si ce n’est vécue, c’est celle qui consiste à se rendre indispensable à l’autre pour ne pas le perdre. Le dépendant change d’image pour se conformer aux attentes de l’autre, ne prend aucune décision, même celles qui n’engagent pas le couple sans l’avis, voire l’accord de l’autre ; perçoit l’amoureux comme une référence, une sorte de maitre à penser. Dans les cas extrêmes, la relation peut aller jusqu’à la maltraitance physique ou psychologique. Au fond d’eux-mêmes, ces dépendants là pensent qu’ils ne méritent pas d’être aimés, et voient cette relation comme un miracle qui ne se reproduira jamais. Ils se lient à ceux qui leur apparaissent comme des « sauveurs ». Pour eux, tout est clairement et ouvertement attendu de l’extérieur. Toute leur existence est soumise au pouvoir d’autrui.

La seconde forme de dépendance est, bien sûr, le pendant de la première. Car il s’agit toujours d’une relation de co-dépendance. Ici, il s’agit d’assujettir l’autre pour ne pas le perdre. On la trouve chez les « mère Courage », les pygmalions, les sauveurs en tout genre, qui semblent toujours faire preuve d’une générosité, d’un dévouement et d’un altruisme à toute épreuve. Ils apparaissent comme le personnage fort du couple. Mais ce masque altruiste révèle surtout un besoin de contrôle et de pouvoir, plus ou moins dissimulé. Ceux-là rechercheront toujours des personnes faibles, vulnérables, ou en détresse pour pouvoir les « sauver » et surtout, les dominer. Mais au fond, ils ne font que se détourner de leurs propres souffrances, trop dangereuses pour eux-mêmes, et en sauvant l’autre, ils se sauvent eux-mêmes par procuration. A l’extrême, la prise de pouvoir est telle que l’autre, enchaîné, ne risque plus de les quitter. Mais curieusement, ce sont rarement ceux-là qui quittent les premiers, même s’ils menacent souvent de le faire. Et lorsqu’ils sont quittés – car parfois le dépendant finit par se prendre en charge – l’entourage s’étonne de voir cette personne si solide en apparence s’effondrer soudain comme un enfant abandonné. Finalement, entre dominant et dominé, est-ce que les choses sont vraiment si tranchées que ça dans le « qui domine qui ? »

A l’opposé de ses situations, on trouve aussi le refus de quelque dépendance que ce soit. Mais dans tous les cas, il s’agit toujours de la difficulté, voire de l’incapacité à vivre une véritable relation d’intimité. Car au bout du compte, la relation d’intimité, la relation d’amour, nécessite d’accepter un certain niveau de besoin de l’autre, donc une certaine forme de dépendance que l’on pourrait définir comme non pathologique.

Les sources de la dépendance affective

Nous allons vous surprendre, les origines de cette relation à la dépendance sont à chercher…. devinez… dans l’enfance ! Dans les premières relations parentales, avec la mère le plus souvent. Comme le savent déjà les habitués du Café Psy, nous sommes tous venus au monde dans un état de dépendance total et absolu. C’est la façon dont nous avons été accompagnés dans cet état dépendant qui conditionne le rapport que nous entretiendrons, dans nos relations adultes, avec notre besoin de l’autre.
Nous avons déjà parlé du besoin primordial que l’enfant a d’être aimé, et surtout, d’être aimé pour ce qu’il est. C’est sur cet amour que se construit le sentiment de sécurité intérieure et d’estime desoi. Si l’être humain n’obtient pas la satisfaction de ce besoin vital en temps utile, c’est à dire dans la toute petite enfance, sa vie risque de se résumer à la quête de ce dû, que cette quête prenne un ton quémandeur, agressif, manipulateur ou revanchard. Et la relation de couple, et par extension toutes les relations affectives ultérieures, seront le calque de ces premières relations dans une recherche éperdue d’une réparation qui n’arrivera jamais.

Ainsi en est-il de « l’enfant nié ». C’est à dire de celui dont on a nié les émotions, en lui disant trop souvent « ce n’est pas grave » quand il est désespéré ; en riant de ses colères, ou pire, en les réprimant ; en lui faisant croire que tout va bien, alors qu’il assiste régulièrement à des conflits entre ses parents… bref, en multipliant les situations où l’enfant ne peut pas valider ce qu’il ressent et voit la réaction des adultes en contradiction avec ses émotions. Or, il a besoin d’eux pour identifier ce qu’il ressent, et à la longue, il deviendra incapable d’être certain de ses propres sentiments. Adulte, il aura tendance à se mettre lui-même en cause plutôt que l’autre, quoiqu’il subisse, et, peu sûr de lui, aura besoin que quelqu’un lui dise ce qu’il doit penser, ressentir, et faire. Enfin, comme nous reproduisons éternellement ce qui nous a fait du mal pour parvenir à le comprendre et à en changer l’issue, ces enfants se tourneront indéfiniment vers des personnes qui les nieront et ne tiendrons pas compte d’eux. Ils seront donc facilement sous emprise.

L’amour « conditionnel » est une autre illustration des sources de la dépendance. Ainsi,  l’enfant à qui l’on promet de l’aimer s’il est bien sage, s’il fait plaisir à maman, continuera toute sa vie à être bien sage, au détriment de ses propres besoins. Il n’aura de cesse de chercher à identifier ce que l’autre veut, attend, afin d’y répondre, convaincu que c’est la seule façon d’être aimé.

L’enfant abandonné constitue une autre figure potentielle d’une future dépendance. Celui-là est prêt à toutes les compromissions plutôt que de subir une nouvelle séparation. Abandonné dans son enfance, il développe la certitude que c’était de sa faute et qu’il ne peut pas être aimé pour ce qu’il est.

Nous pouvons évoquer aussi, l’enfant « parentifié ». C’est à dire l’enfant qui a, sous une forme ou une autre, pris en charge le bien-être matériel ou psychologique de ses parents. Lui aussi pensera que c’est la seule façon de mériter l’amour.

Dépendre pour réparer et éviter…

En résumé, on peut dire que le point de départ de la future dépendance affective résiderait donc dans ce passage de la liberté d’être soi à la peur d’être soi, puis à la négation de soi. L’enfant détermine sa conduite à partir de l’affectivité de ses parents, et non plus à partir de la sienne.

Ainsi, dans tous ces cas que nous venons de citer, il y a eu manque, et négation de soi-même. Au risque même d’une forme de vide intérieur. C’est ainsi que notre besoin de réparation nous entraîne dans des relations de dépendance pour ne pas avoir à ressentir ce manque ou cette absence à soi-même ainsi que toutes les sensations douloureuses qui les accompagnent. Pour éviter ces sensations dont il a peur, l’enfant a développé des compétences hors pairs pour repérer les attentes et les besoins affectifs de ses parents et y répondre. Au détriment des siens. Adulte, il généralise ce processus aux relations avec autrui : ses choix, ses décisions seront axés sur les réactions affectives d’autrui par crainte d’une relation avec sa propre affectivité. En agissant de la sorte, il accorde aux autres le plein pouvoir sur sa conduite et l’orientation de sa vie.
Pour vous donner une meilleure idée de ce processus d’éloignement de soi, comparons avec l’alimentation : si vous ne mangez que quand les autres ont faim… rapidement, vous verrez que vous ne savez plus du tout quand vous-mêmes avez faim.

Christine Jacquinot et Marie Marvier

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