« L’angoisse de la ‘bonne mère’, ou la quête d’une impossible perfection ? – Introduction

Le Café Psy du 09.01.14

Cette session du Café Psy ne s’adressait pas uniquement aux mères biologiques mais à toute personne qui occupe cette fonction maternante dans la continuité, voire à certains pères qui s’investissent autant que la mère, notamment au niveau des soins et de l’attention quotidienne envers leurs enfants.

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Notre génération de mères, celles qui ont entre trente et cinquante ans, s’inscrit dans un contexte social particulier et inédit. Un carrefour où toutes les valeurs se sont renversées. Nos parents ou nos grands-parents, c’est à dire, dans tous les cas, des proches qui ont marqué notre enfance, ont grandi dans une société où la morale et la religion était encore très puissantes, où l’on ne divorçait pas et où la seule contraception était l’abstinence. Alors que nous-mêmes, voire déjà nos propres parents, avons vécu les révolutions féministes et sexuelles.

Il s’ensuit un conflit interne entre un modèle intégré dans l’inconscient collectif : celui d’une mère prépondérante dans l’éducation des enfants, accompagnée par un père assez peu concerné, et une volonté d’épanouissement individuel au delà des enfants. Et quand je dis « une volonté », on pourrait presque, aujourd’hui, parler d’une injonction d’épanouissement pour les femmes, que ce soit dans leur vie professionnelle, leur développement personnel, ou leur séduction, voire les trois en même temps pour les plus gourmandes. Une alchimie vouée à l’échec ! Car trop chargée de culpabilité. Envers leur enfant lorsqu’elles ne s’y consacrent pas suffisamment ; envers les autres aspects de leur vie lorsqu’elles les sacrifient pour le bébé. Certes, « être mère » égale « se sentir coupable ». Mais le tout est de ne pas se laisser envahir.

Un jour, une mère de famille demande conseil à Freud pour l’éducation de ses enfants. Le psychanalyste lui répond : « faites ce que vous voulez, de toutes façons vous ferez mal. » Il aurait dû ajouter : « et heureusement ! »

Car l’enfant qui grandit a besoin de critiquer sa mère pour s’en détacher. Or comment la critiquer si elle est parfaite ? Ou alors, il faudrait être parfaitement imparfaite ? C’est ce que développe Donald Winicott, un psychanalyste anglais des années 40/60, avec le concept de « mère suffisamment bonne ». Autrement dit, suffisamment bonne mais pas trop. Une mère « passable » en quelque sorte, c’est à dire une mère dont on peut se « passer ». Quand on est petit, parce qu’elle nous a donné suffisamment de confiance pour l’attendre sans angoisse d’abandon ; quand on est grand, parce qu’on peut la quitter et vivre sa vie sans culpabilité.

Pour Winnicott, la mère suffisamment bonne, quand elle n’a pas de pathologie particulière, n’a qu’à se laisser aller à son instinct. Dans les premières semaines, elle sait, elle sent, les plus infimes besoins de son bébé et y répond. C’est ce qui installe la communication entre l’enfant et sa mère, et la relation de confiance qui en découle. Mais petit à petit, il faut que la mère prenne ses distances. Car c’est en vivant des frustrations que le bébé accède au désir et reconnaît ses besoins. Une mère qui préviendrait trop longtemps les besoins de l ‘enfant l’empêcherait de les identifier lui-même, de les exprimer, et plus tard, d’agir pour les satisafaire. Une mère suffisamment bonne est donc une mère qui sait à la fois aimer, nourrir, mais aussi agacer, se faire détester et, surtout, se laisser détester, malgré l’angoisse qui peut la submerger quand ça arrive.

Car au cours de son parcours de mère, une femme va se trouver confrontée à la violence, à l’agressivité de son enfant. A la fois « bon objet » et « mauvais objet », elle représente un tout pour son enfant. La mère « bon objet » est celle que l’enfant reconnaît, admire, câline, celle qui a joué son rôle de mère accueillante et traductrice des sensations de l’enfant, celle qui met des mots sur ses sensations et sentiments, notamment lorsque ceux-ci sont douloureux. Avec cette mère « bon-objet », l’enfant est en lien, en relation d’amour. Il en accepte peu à peu la dépendance à l’âge où il prend conscience qu’il en a besoin, qu’il ne peut pas encore satisfaire seul ses besoins, qu’il y a un(e) autre pour cela.

La mère « mauvais objet », c’est celle qui ne donne pas le sein ou le biberon aussi longtemps que le bébé tout-puissant le souhaiterait, c’est à dire au-delà de la satisfaction de sa faim physiologique. Car nous parlons bien ici de la faim affective, qui se manifeste dans le plaisir de téter, parfois jusqu’à l’avidité. La Mère mauvais objet, c’est aussi celle qui va frustrer. Elle va attendre un moment pour nourrir le bébé, ou plus tard dire NON à certains de ses désirs, et ainsi déclencher la colère de l’enfant, voire sa haine. Ces réactions à la non satisfaction des besoins déclenchent une avalanche d’agressivité, de pleurs, de colère et d’excitation physique qu’il est crucial d’à la fois accepter et contenir. Autant, ce rôle de bon objet peut paraître facile à vivre, autant celui de mauvais objet s’avére difficile. C’est aussi de là que viennent l’angoisse et l’anxiété pour la mère.

Celles-ci trouvent leur origine dans la façon dont notre rapport à la maternité s’est constitué. Elle est un mélange d’influence sociale, de vieilles traditions occidentales d ‘éducation toujours présentes dans l’inconscient collectif , de la personnalité propre de la mère, et surtout de l’enfant qu’elle a été, de l’amour qu’elle a reçu et des frustrations qu’elle a subies : les frustrations positives qui forment notre capacité à vivre en société, et les frustrations négatives, d’ordre affectif. Autrement dit, ce qu’elle-même n’a pas eu dans son enfance de la part de sa propre mère.

Si la relation mère-fille initiale n’a pas été satisfaisante, si elle n’a pas été « suffisamment bonne », comment accepter ce rôle de « mauvais objet » ? Comment se retrouver dans la peau de celle dont nous gardons un souvenir négatif ? Comment ne pas se sentir remise en question par ces manifestations d’agressivité ? Comment accepter la violence ou les colères de nos enfants si nous-même n’avons pas eu d’espace pour exprimer les nôtres quand nous étions petite fille ou adolescente ? Alors que faire de cette réactivation des sentiments ressentis à l’égard de nos mères, potentiellement négatifs, avec en prime, selon les cas, la culpabilité de ne pas faire mieux qu’elles ?

Pourtant, être une mère parfaite garantirait-il d’avoir des enfants parfaits ? Même pas, car il faudrait aussi un père parfait, une école parfaite, des copains parfaits, un entourage familial élargi parfait, une télévision, une société parfaites… Alors puisque cette quête d’une perfection maternelle, d’ailleurs différente pour chacun, continue de résonner en nous, quelles sont ses conséquences sur notre vécu de mère ? Quelle est votre quête à vous de perfection et comment la vivez-vous au quotidien ?

Christine Jacquinot et Marie Marvier

 

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