« Avoir été un ‘bon bébé’… au risque s’oublier ? – Verbatim

Le Café Psy du 06.02.14

bebe cadumBesoins et attentes des parents

« Y a-t-il un seul enfant au monde qui ne se conforme pas aux besoins des parents pour être aimé et ne pas être abandonné ? »

« S’adapter, est-ce que cela signifie s’adapter au désir conscient ou inconscient des parents ? Une mère peut avoir le sentiment que l’enfant ne répond pas à son désir conscient. Ce n’est pas pour autant qu’il ne répond pas à son besoin inconscient. »

Le Café Psy : « Le bébé n’a pas d’autre choix que celui de s’adapter, mais c’est une question de curseur. Face à des parents qui transmettent trop leurs besoins aux enfants, la psychanalyste Alice Miller développe le concept du « témoin lucide » : un membre de l’entourage – grand-mère, oncle, ami de la famille – qui apporte à l’enfant le regard inconditionnel dont il a besoin. La mère n’est pas l’unique référent de l’enfant. »

« Quid de la vie intra utérine ? Le foetus ressent l’état de sa mère : angoisse, plaisir… donc, il peut y répondre avant même sa naissance. »

« Avant moi, ma mère a fait une fausse couche très tardive. L’enfant qu’elle a perdu était forcément idéal. N’étant pas celui qui était attendu, il m’était impossible d’être à la hauteur. Je n’ai pas été aimé pour moi-même. »

« Moi, je n’étais pas désirée. Un objet, une chose à nourrir. J’ai été aimée un petit peu. Juste de quoi vivre. Ma soeur aînée était celle qui était définie comme « sage ». Moi, je n’avais pas de statut. »

Le Café Psy : « Les attentes des parents peuvent être parfois excessives, mais que se passe-t-il quand il n’y pas d’attentes du tout ? Il est difficile d’aller contre une « non-attente », et encore plus de s’y conformer. Il devient donc difficile de tout simplement se développer. »

L’enfant « sage »

«  Il y a toujours une mythologie familiale. Moi, j’étais un enfant très sage, les mères de mes copains appelaient la mienne pour que je vienne calmer leur fils. »

« La seule fois où je me suis énervé très fort parce que je ne réussissais pas à valider mon ticket de bus, ma grand-mère a dit : « c’est incroyable, cet enfant ne s’énerve jamais ! » Comme si c’était un fait acquis. »

« La première fois que j’ai vu un babyphone, je me suis demandé pourquoi je n’en avais pas eu. Bien sûr, à l’époque ça n’existait pas. Mais de toutes façons, je n’aurais pas été éligible au babyphone car je n’étais jamais malade et on ne s’inquiétait pas pour moi. »

« L’entourage, oncles, grand-parents, amis, m’ont autorisé un autre territoire que la sagesse, quitte à être attaqué ensuite par la doxa familiale. »

Le Café Psy : « Un enfant « sage », c’est à prendre au sens large. C’est un enfant qui répond au besoins des parents, quelqu’ils soient. Si les parents ont besoin d’un enfant rebelle, l’adaptation pourra passer par la rébellion »

L’enfant « rebelle »

« Concernant ma soeur, la mythologie c’est l’indiscipline. « Comme ma mère », selon ma grand-mère, d’où un shéma de reproduction transgénérationnel. Moi, on m’a sanctifié comme enfant sage. »

Le Café Psy : « L’enfant « sage » et l’enfant « rebelle » sont les deux faces d’une même médaille. C’est toujours une construction en fonction du modèle proposé, par identification ou par opposition. Ils parlent tous les deux de la dépendance au regard des parents. Adulte, cela peut se transformer en dépendance au regard de l’autre. »»

« Moi, en tant que « pas sage », j’ai trouvé ma légitimité plus tard. »

« L’inverse de sage, ce n’est pas rebelle mais agité, un terme d’une douceur terrible »

« Je n’ai pas été un « bon bébé » du tout. On disait même que j’étais un bébé méchant, car je pleurais tout le temps, j’étais très agitée, je ne voulais pas manger. Ma grand-mère disait : « avec toi, on pleurerait des larmes de sang ». Mon frère aîné, lui, était très calme, pour ne pas être abandonné, pour ne pas mourir. Finalement, avoir été élevée comme ça m’a permis de bien m’en sortir, grâce à ma capacité de survie. »

Le Café Psy : « le bébé sage correspond aux attentes sans être forcément parfait. Le bébé méchant est celui qui porte la part noire de la famille »

L’enfant « malade »

« Ayant deux parents médecins, j’ai subi deux injonctions -implicites – contradictoires : être malade c’était répondre à leur fonction de médecin. Ils pouvaient s’occuper de moi. Mais c’était aussi provoquer leur inquiétude de parent. Mais en n’étant pas malade, je sais aujourd’hui que je les privais aussi de leur identité. »

« Ma façon d’exister, c’était de tomber malade. Non pour répondre au besoin maternelle, mais pour gagner la compétition par rapport à mon frère. »

Le Café Psy : « Un enfant qui développe des maladies le fait soit pour répondre à son propre besoin d’attirer l’attention de sa mère, soit pour répondre à son besoin à elle d’être une bonne mère, c’est à dire celle qui s’occupe de ses enfants »

Compétition dans la fratrie

« Est-ce que, dans la compétition familiale, l’enfant sage correspond à l’idée d’un enfant plus brillant que les autres ? »

« Moi, j’étais la « toujours malade », mais pas la préférée. Dans un fratrie, il y a toujours une préférence, même quand elle est cachée. »

« Avec mon frère, on a chacun pris un rôle d’enfant sage différent. Chacun a fait sa part du boulot. Moi, c’était les études, mais je faisais trop de bruit. Mon frère cadet, on ne l’entendait pas, mais les études, ça allait moins bien. »

« Ma soeur était le bébé toujours malade, moi, j’étais le « bon bébé ». On me disait : « toi, tu pousses comme le chiendent. » Du coup, j’avais aussi le droit d’être abandonnée parce que je n’étais pas compliquée, contrairement à ma soeur aînée, sacralisée, aimée bien plus que moi alors que le « mauvais bébé », c’était elle. Un jour, elle a voulu me pousser dans le vide depuis le balcon. Ma mère l’a su mais a trouvé que ce n’était pas très grave. »

« Mes parents avaient une attente démesurée, monumentale ! Comme je donnais, je n’étais pas décevante. Mais j’étais aussi le bouc émissaire, cela permettait à mes parents de protéger mon frère.»

« Ma soeur lançait mon landeau du haut d’une pente. J’étais tellement secouée que j’arrivais en sang en bas… et ça faisait rire ma mère ! »

« J’ai subi une demande insatiable, j’ai fait tout ce qu’il fallait et malgré tout ça, je n’étais pas la préférée. On préférait celle qui était dure, qui était moins sympa. »

« J’ai un frère jumeau. Ma mère n’attendait qu’un seul enfant. Le nom de mon frère était trouvé depuis des mois. Le mien, 15 jours avant. J’ai endossé le rôle du bébé « sage » car je n’aurais jamais dû être là. »

« Chez les jumeaux, il y a forcément un aîné et un cadet. Qui est celui qui prend le pouvoir ? Qui a voulu tuer l’autre ? »

« Entre jumeaux fille/garçon, la place était encore plus réduite parce que j’étais une fille. Mes tentatives de rébellion étaient toujours cassées. J’avais juste le droit d’être redevable à mes parents d’être là. »

Aujourd’hui, en tant qu’adulte

« Je n’ai jamais eu le sentiment d’être la préférée de quelqu’un. Je cherche cela indéfiniment et, à 60 ans, je sais que je n’y parviendrai jamais. »

«  Je me dissous dans le regard de l’autre. J’y perds de la valeur, alors que j’étais une môme facile comparée à ma soeur que, pourtant, mes parents adulaient. »

« Je suis arrivé à un âge où j’ai inversé le paradygme. Maintenant, je questionne mes parents : « qui êtes-vous, vous ? » »

« J’ai peur de voir mes parents devenir dépendants, de devoir me confronter à leurs maladies. Je me dit que je vais devoir être bien élevé jusqu’à cet endroit-là, et cela provoque en moi une peur terrible. »

« Que je m’intéresse à eux en tant qu’êtres humains a beaucoup secoué mes parents. Mais maintenant, ce sont eux qui en font la demande. Par exemple, je vais fleurir les tombes avec ma mère. Dans ces moments-là, nous sommes au même endroit symbolique, nous sommes deux enfants. »

Le Café Psy : « La question est : qu’est-ce qui change quand je change ? »

« Après avoir été complètement dépendante, maintenant, je suis dans l’autonomie. Je peux avoir une discussion avec ma mère, et ne pas être d’accord sans me sentir en danger, mais cela s’est fait au prix de plusieurs années de rupture avec mon frère jumeau. »

« Moi, j’étais bien dans la ligne du parti. A 40 ans, sur le papier, tout était bien : un mari, deux enfants, un bon travail. Mais je n’étais pas heureuse. Je me sentais coupable de ne pas l’être. J’étais à côté de mes chaussures. J’ai fait un travail de réappropriation de mes propres besoins. Désormais, je propose autre chose à ma mère. J’ai changé avec mon mari et mes enfants. Au quotidien, ça vaut le coup. »

« J’ai été malmenée, mise en danger dans ma famille. Mon frère m’a même dit un jour : «  ta place est en hôpital psychiatrique. » Je n’en reviens pas de m’occuper de ma mère aujourd’hui comme je le fais. Même si je ne suis pas celle que ma famille aurait voulue, j’existe. Je suis sortie de la souffrance. Aujourd’hui, c’est presque une forme de bonheur en soi. »

« Après que que jai fait une thérapie, mon père m’a dit : « toi, tu as été voir. Moi je n’ai pas pu. » Peut-être que j’ai une richesse de vie que je n’aurais pas eue si j’avais été considérée comme un « bon bébé ». Cela est possible quand on ne s’est pas laissé déruire jusqu’au bout. »

« Je suis devenu moi, même si ça ne correspond pas tout à fait à ce qu’il « faudrait » que je sois à leurs yeux. Aujourd’hui, j’ai des échanges avec ma mère. Elle me dit des choses qu’elle ne dit pas aux autres. Nous avons une relation d’adulte à adulte, même si cela m’a mise en dehors de la fratrie. »

« C’est comme dans une relation amoureuse : il faut faire le deuil de ce qu’on imagine qu’elle est. Même si je continue à respecter la mythologie familiale, j’apprend à profiter de ces moments de relation d’adulte à adulte »

Le Café Psy : « la question du deuil renvoie à la quête de l’amour inconditionnel et absolu. Il est nécessaire de traverser les cinq étapes du deuil : Déni, colère, tristesse marchandage, et acceptation. Mais une fois le deuil de cette quête effectué, il devient possible de faire émerger une vraie relation. »

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