« Miroir, mon beau miroir… » ou l’image de soi en question – Introduction

Le Café Psy du 04.06.14

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« Miroir, mon beau miroir… dis moi que je suis la plus belle » Et le miroir de répondre inlassablement oui, jusqu’au jour où Blanche-Neige vient concurrencer la méchante reine et qu’il l’en avertit. Pour les frères Grimm, il semblerait que le miroir soit vecteur d’une vérité sur soi. Et que fuir cette vérité conduise à la destruction et à la folie meurtrière.

Il nous semble que, bien au contraire, ce foutu miroir, censé nous montrer tels que nous sommes, est une arnarque. Déjà, inconsciemment, on lui demande plus souvent : « Miroir, dis-moi que je suis la plus laide…. » Et cet enfoiré nous répond parfois que oui !

Quel est donc ce rapport que nous entretenons au miroir ? Qui parle par la voix du miroir ? qui nous dicte ce que nous y voyons ?

Nous allons tenter de répondre par une anecdote rapportée par Françoise Dolto dans son livre « L’image inconsciente du corps » : Dolto reçoit en entretien une fillette. Lors de leur tête, la petite dessine un très beau vase de fleurs épanouies. Puis Dolto fait entrer la mère, et l’enfant dessine alors un minuscule pot avec des petites fleurs fanées. On voit que sa représentation inconsciente d’elle-même se modifie considérablement en présence de sa mère. Elle se sent soudain misérable, alors qu’avec la psy, elle se vit comme libre de s’épanouir.

Françoise Dolto distingue schéma corporel et image inconsciente du corps. Pour elle, le schéma corporel parle de l’individu en tant que représentant de l’espèce humaine, c’est à dire avec deux bras, deux jambes, une tête, un ventre, un sexe etc. L’image inconsciente du corps, elle, est liée au sujet et à son histoire. Elle s’élabore dès les premiers mois de l’existence, elle est la synthèse vivante des expériences émotionnelles, comme une mémoire inconsciente du vécu relationnel précoce. C’est cette image inconsciente du corps qui nous intéresse ce soir. Il s’agit de la représentation que l’on a de soi-même.

Les « stades du miroir »

Pour Donald Winnicott, le premier miroir du bébé, c’est le visage de sa mère. C’est dans ce regard qu’il évalue l’estime que l’autre a pour lui, et donc qu’il s’évalue lui-même et qu’il échafaude ses premières représentations.

Mais il n’a encore aucune idée de ce à quoi il ressemble.

Henri Wallon, psychologue français des années 30, met, lui, l’accent sur la découverte par l’enfant de son image corporelle dans la glace.

La plupart des parents jouent à cela : ils posent leur enfant devant un miroir et lui disent : « regarde, c’est toi ! » Mais il faut un peu de temps au bébé pour le comprendre. Il croit tout d’abord qu’il n’y a pas de miroir et que ce qu’il voit est la réalité. Il voit donc un autre enfant, et on s’amuse beaucoup de le regarder essayer de toucher ce copain virtuel. Mais petit à petit, l’enfant se rend compte qu’il voit ses parents devant lui, mais qu’il les entend… derrière. Imaginez le choc, lorsqu’il comprend qu’il s’agit d’un reflet ! Mais il ne fait pas encore le lien entre cet enfant qu’il voit dans leur bras, et lui-même. Ce n’est que vers 18 mois à deux ans qu’il comprend que cette image, c’est lui !

Mais alors, que faire de cet image qu’il découvre, cette « image de soi », qui a été parlée et considérée par son entourage depuis toujours, et qui s’impose dorénavant à lui ? Lorsque l’enfant la reconnaît enfin, cette image est déjà chargée de l’histoire des autres. C’est leur estimation qui lui donne sens. Le plus beau des enfants, si on lui martèle à quel point il est vilain, percevra son image comme vilaine. Cette valeur accordée à l’image la précède, et donc la façonne. L’inverse est aussi vrai : un bébé quelconque, mais valorisé, se percevra comme adorable en se découvrant dans le miroir.

Pour Françoise Dolto, le moment crucial du rapport à notre image se situe plus tard, vers deux ans et demi, trois ans, et constitue une véritable rupture pour l’enfant. Un rupture qui marque le début de ce dans quoi, adulte, nous évoluerons plus ou moins confortablement : le paraître.

Mais à cet âge, c’est surtout la différence entre l’image perçue dans le miroir et la réalité intérieure de l’enfant qui s’impose. Il comprend que l’image n’est pas lui, mais un reflet, une apparence qui ne peut rendre compte de sa globalité. Il réalise qu’il s’agit d’un masque. Dorénavant, le petit accorde moins d’importance à sa réalité intérieure, et apprend à jouer de son apparence. Il perçoit que cette image ne peut en aucun cas rendre compte de la complexité de sa vie intime, intérieure. Que celle-ci ne peut pas être « vue ». Le corps devient alors un outil pour parler de soi aux autres.

Image de soi, regard de l’autre

En grandissant, l’image de soi se confronte au regard de l’autre et à un idéal collectif, différent selon les temps et les lieux.

Dans notre culture, l’idéal collectif passe pour beaucoup par les médias, et notamment par la mode. Freud, au début du XXe siècle, en donnait déjà une définition intéressante : La mode ne signifie pas simplement avoir une garde-robe plus ou moins bien remplie de vêtements plus ou moins chers. La mode, c’est la recherche de la ressemblance à son groupe d’appartenance. Il s’agit là d’un élément vital.

En la matière, il est essentiel de garder en tête la relation intime que la mode entretient avec le corps, et donc avec ce que celui-ci possède ou pas, sait faire ou pas. Le vêtement ainsi que tous nos efforts pour accéder à cette image collective idéale nous promettent une autre représentation de notre corps, plus supportable. Quitte à passer par de l’inconfort. « Il faut souffrir pour être belle », disaient nos grand-mères.

Conditionnée par nos premiers miroirs et par cet idéal collectif, l’image que l’on a de soi modèle la réalité de notre corps et de nos attitudes, mais, en retour, la perception de notre reflet modèle tout autant notre psychisme. Autrement dit, nous fabriquons l’image qui nous fabrique. Ou, plus exactement, nous fabriquons l’image que l’autre a fabriquée de nous. D’où l’arnaque du miroir !

Est-ce pour autant définitif ? Aurons-nous toujours une image déformée de nous-même, et plus souvent déformée pour le pire que pour le meilleur ? Non, pas forcément. Sauf que comment dire « Moi », alors que, comme l’affirme Rimbaud, « JE est un autre » ? Parfois, un nouveau miroir -un amour, un patron, un psy…- peut venir nous renvoyer une meilleure image, et par là, modifier notre système de fabrication par un effet d’entrainement. A condition que, à l’instar des champions, l’entrainement soit long et intensif ! Mais à ce moment-là, au lieu de nous identifier à la méchante reine et de courir sans cesse après l’idéale Blanche-Neige, nous pourrons suivre la voie de cette autre princesse de conte, Fiona, l’épouse de Schrek, qui choisit de se transformer en ogresse verte car elle est suffisamment consciente de sa propre valeur pour renoncer à celle de son image. En cela, elle se révèle bien plus désirable et charnelle que l’inatteignable -dans tous les sens du terme- Blanche-Neige.

Christine Jacquinot et Marie Marvier

 

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