Toi, moi… Pourquoi ? – Introduction

Le Café Psy du 04.09.14

Botero_Danseurs

Pour décrire l’évolution du couple, nous aimerions citer cette anecdote racontée par Freud : un jeune homme amoureux qui vient de raccompagner sa fiancée et prend le tramway. Il demande au contrôleur deux billets. Après quelques années de mariage, il reprend le tramway, accompagné de son épouse, et il demande… un billet !

Cette histoire résume bien l’équation mathématique paradoxale du couple, qui va du 1+1=1, soit toi et moi ne faisons qu’un, au 1+1=3, soit toi etmoi égale toi, moi, notre couple. Il y a bien trois entités. Et quand ce passage ne s’opère pas, nous aboutissons à la plus dangereuse des opérations :1+1=2.

La rencontre : un choix d’inconscient à inconscient

Qu’il s’agisse ou non d’un coup de foudre, que se passe-t-il au moment de la rencontre ? Un désir surgit, un choix s’impose à la conscience. Avec plus ou moins de soudaineté, nous faisons face à une évidence : c’est lui, c’est elle. La nature du coup de foudre est en fait très archaïque, c’est à dire enracinée dans nos premières expériences de nourrissons. Nous avons le sentiment qu’il arrive quelque chose que nous avons toujours su ou attendu. D’où cette certitude : « c’est l’homme (ou la femme) de ma vie ». Et en effet, nous le savons depuis toujours, puisque nous l’avons déjà vécu… avec notre mère. Cet homme ou cette femme a des caractéristiques qui nous ramènent plus ou moins consciemment à notre premier objet d’amour – parfois par des chemins très détournés. Il n’y a alors plus de « je ». Seul existe le « nous », dans une fusion totale, dans laquelle les partenaires viennent se dissoudre, même s’ils sont par ailleurs des êtres très autonomes. Comme lorsque, dans nos première semaines de vie, nous ignorions que nous existions en dehors de notre mère.

La passion amoureuse

Lors de la rencontre, l’autre devient l’objet total et absolu du désir. L’évènement nous oblige à repenser l’ensemble de notre vie : le présent, le passé et l’avenir. Nous nous mettons alors à alimenter cette illusion de toutes les manières possibles. Nous recréons l’autre sans cesse à partir de nos propres besoins. Et, en face, l’autre vient là où il est attendu, où il est déjà créé. Nous cherchons les ressemblances, nous en produisons. Et nous évitons de regarder les dissemblances. Dans cette phase de passion, l’autre est parfait, idéalisé, le couple que l’on forme est merveilleux. Mais en réalité, nous projetons sur l’autre ce que nous avons de meilleur en nous et nous ignorons délibérément -mais inconsciemment – tout ce qui pourrait venir entacher ce nouveau champ des possibles enthousiasmant.

Le contrat implicite

Tout cela est merveilleux mais si nous construisons de toutes pièces les perfections de l’autre, alors pourquoi avons-nous spécifiquement choisi celui-ci ou celle-ci ?

Nous pouvons relever trois niveaux de choix qui agissent simultanément :

-Une demande ou un projet de couple conscient et exprimé.

-Un besoin conscient mais non-dit.

-Une demande inconsciente en lien avec nos vécus de la petite enfance.

Le projet conscient et exprimé

La plupart du temps, les projets conscients de chacun se correspondent bien, autrement dit nous sommes pareils ou nous sommes complémentaires. Nous voulons une famille sans conflit. Nous voulons vivre libre. Nous voulons réussir socialement, etc.

Ce projet exprimé se construit le plus souvent en identification ou en opposition au modèle parental.

Le besoin conscient et non dit

Chacun a une idée de ce qu’il recherche dans le couple, sans forcément la partager avec l’autre. Par exemple,« je cherche un homme fort qui me protège », « je cherche une femme douce pour me sentir fort », ou « je cherche un partenaire brillant pour me valoriser en socialement ».

La demande inconsciente

Comme par hasard, ces attentes que l’on tait le plus souvent se répondent dans la plupart des cas. Mais là où le bât blesse, c’est qu’elles ne sont pas toujours en accord avec ce qui fait le réel fondement d’un couple : le contrat implicite, c’est à dire le besoin inconscient, autrement dit le rôle que l’on demande inconsciemment à l’autre d’assumer.

L’un demande l’amour inconditionnel dont il a manqué enfant, l’autre a fait de ses manques un besoin de prise en charge de l’autre.

Parfois, la demande vient du besoin d’être protégé de soi-même. Par exemple, je choisis un partenaire organisé et rigide pour me protéger de mes coups de folie, que je ressens inconsciemment comme dangereux. De son côté, l’autre vit à travers moi les coups de folie qu’il ne s’autorise pas. Ce qui crée la force de l’attraction mutuelle c’est donc essentiellement une problématique inconsciente commune – le besoin d’amour, la peur de la folie, etc – avec des manières différentes et complémentaires d’y réagir.

Sortir de la fusion

La complémentarité des névroses est certainement un des éléments qui président à la formation du couple, elle est aussi celui qui risque de le faire vaciller lorsque nous sortons de la fusion. La passion amoureuse dure de quelques mois à trois ans, rarement plus. Force est de constater que vient toujours le moment ou l’on sort de l’ « illusion duelle », selon le terme de Serge Hefez. La vie reprend ses droits et le destin de l’être humain est de tendre vers la croissance et le développement. Pour cela, chacun doit récupérer ce qu’il a mis de lui dans l’autre. Et la part d’ombre de notre conjoint nous apparaît. La nôtre aussi, d’ailleurs, car la fusion nous protégeait de nos propres aspects négatifs, et on ne s’était jamais senti aussi bon. On pourrait dire que là, ça passe ou ça casse. Car la violence de la première crise est à la hauteur de l’émerveillement des premiers mois. On peut en vouloir terriblement à l’autre de ne pas être celui que l’on croyait, ou plutôt, que l’on voulait croire. C’est d’ailleurs le temps des crimes passionnels, qui n’ont lieu ni avant, ni après. La relation fusionnelle portait tellement le meilleur de nous même, que lorsqu’elle se transforme et qu’il nous faut retrouver nos aspects négatifs, nous pouvons le vivre comme une trahison, comme si cette nouvelle forme de lien détruisait totalement le bon en nous. Au fond, ce que nous demandions à notre partenaire, c’était de nous libérer de nos conflits et de nos angoisses antérieurs, comme un « délivre-moi du mal! ». Mais ce contrat-là ne peut pas être respecté. Certains refusent de sortir de la fusion. Il y a trois façons de s’y prendre : Ne jamais se disputer ou se disputer tout le temps. Dans les deux cas, on évite de voir le couple pour ce qu’il est. La troisième option : aller indéfiniment voir ailleurs, retrouver une nouvelle fusion dans un autre couple.

Transformer la relation

Transformer la relation fusionnelle en relation à long terme dépend de la capacité de deuil de chacun. Il faut en effet faire le deuil de l’autre idéalisé et accueillir sa réalité. L’évolution du couple se fera de mille façons différentes par rapport à cette illusion fondatrice qui est organisée sur le mode de la découverte des ressemblances plutôt que des différences, mais qui constitue la principale source d’énergie et de satisfaction du couple. Cette étape est nécessaire à la constitution du couple. Elle scelle une union. Un couple n’est pas la juxtaposition de deux individus distincts qui mettent des choses en commun. Chacun va devenirun « je » différent, après être passé par ce « nous ». Ce sont de nouveaux individus qui émergent de la relation de couple. A la condition que le couple n’absorbe pas les individus. Au stade fusionnel, chacun des partenaires demandait implicitement à l’autre d’être en quelque sorte son thérapeute. Mais l’enjeu du couple sur la durée pourra être, justement, que ce soit le couple en lui-même qui devienne le thérapeute de chacun des partenaires.

Christine Jacquinot & Marie Marvier

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