Ce que manger veut dire – Verbatim

Le Café Psy du 04 .12.14

9b8a19ff2b1b11720d56828057d2e227Plaisir partagé

« Quand je viens au Café Psy, j’ai autant de plaisir à vous entendre parler qu’à manger. C’est du plaisir parce c’est bon, partagé, et que cela accompagne la pensée. »

Sensorialité

« Je me souviens du cassoulet maison. Je ne mangeais pas forcément beaucoup mais je me souviens de l’odeur. Récemment j’ai mangé un morceau de pain et ça m’a renvoyé à l’odeur du pain  de ma grand-mère en Bretagne. »

« J’aime les bonnes choses et j’aime les couleurs. Eplucher les fruits et les légumes me fait un bien extraordinaire ! »

Le Café Psy : « Certains grands chefs disent « La cuisine c’est de la couleur, c’est de l’amour ». Les grands cuisiniers font des assiettes qui sont des œuvres d’art tout entières. C’est aussi des sons : ça crépite, ça crisse sous la dent. Quant au toucher,  malaxer une pâte, par exemple, c’est presque une sensation érogène. »

Le lien

« Quand j’étais petit, ma mère ne pouvait s’empêcher de mettre à manger dans mon sac quand je quittais la maison. Il y avait ce lien qui continuait. Une fois loin, elle m’appelait toujours pour me demander : « Tu as bien mangé ? » »

« Le sac de nourriture que je remportais de chez ma mère, c’était comme une prolongation du cordon ombilical. Ce n’est sans doute pas anodin, qu’à la mort de ma mère, ma sœur ait repris la tradition. Elle a reconstruit le cordon. »

« A quatorze ans, ma fille aînée décide de faire un gâteau anglais. J’achète les ingrédients et on se met en cuisine à deux. Ça a duré 6 heures ! Il n’était pas bon, c’était un gâteau anglais ! (rires) »

Le Café Psy : « Mais c’était six heures de lien. »

La figure maternelle

« A la maison, ma mère faisait toujours des plats bio et équilibrés et moi je n’avais pas envie de manger. Ce que je voulais c’est qu’elle m’aime et qu’elle me nourrisse d’amour. »

« Récemment, ma mère m’a dit que j’avais été une petite fille très difficile à nourrir. Je ne voulais qu’un verre d’eau avec un morceau de pain trempé dedans. Peut-être que pour elle, c’était une angoisse totale de voir son enfant qui ne mangeait pas. »

Le Café Psy : « Pour certaines mères, voir un plat refusé par son enfant, c’est, symboliquement, se voir refuser son amour et donc se sentir une mauvaise mère : « Ce que je te donne tu n’en veux pas ». Cela peut être difficile et douloureux pour la mère. »

« J’ai toujours entendu dire que, bébé, j’avais eu une période où je refusais catégoriquement de manger. Ma mère a fait une dépression après. »

Le Café Psy : « Refuser la nourriture est le seul pouvoir à cet âge-là. Il y a un message symbolique derrière. Le risque, c’est de ne pas l’entendre et de faire du forçage qui peut parfois être violent. Derrière le besoin physiologique, il y a un besoin psychologique : on peut y répondre dans le trop ou le pas assez. Il s’agit souvent d’un enjeu dans l’ajustage entre la satisfaction et le besoin. »

« Ma mère ne nous a jamais dit qu’elle nous aimait mais elle nous faisait la cuisine. Sa parole, c’était la nourriture. Un jour elle nous a dit qu’elle en avait marre de nous faire à manger : ça a sonné comme si elle en avait marre de nous aimer. »

Transmission générationnelle

« Les repas chez ma grand-mère, c’était des rendez-vous ritualisés. Pour telle fête, on préparait tel gâteau, pour telle autre, un autre. Quand elle est décédée, j’ai ressenti le besoin de cuisiner les plats traditionnels qu’elle avait l’habitude nous faire. »

« J’ai un papa qui mange beaucoup, tout le temps. Il a transmis ce problème à mon frère. Moi, je ne voulais surtout pas être comme lui. Je mangeais peu et sain. J’ai eu beaucoup de mal à entendre de sa bouche : « Tu ne veux pas manger comme tout le monde ? » J’avais l’impression qu’il voulait me forcer à manger beaucoup et devenir grosse. »

« Je suis allée voir une nutritionniste pour trouver mon identité alimentaire et me réconcilier avec mon corps. J’ai parlé avec elle de la relation avec ma mère.»

 » Ma mère avait un rapport avec son corps compliqué, tout comme ma grand-mère. Je veux travailler tout ça pour que mes enfants n’aient pas le même rapport à la nourriture. »

« Alors qu’on a grandi dans la même famille, ma sœur aînée n’a pas le même rapport à la nourriture. Quand elle était enceinte, elle se pesait matin et soir, s’affamant jusqu’à un certain point. »

Le Café Psy : «Le rapport à la nourriture se transmet. En identification ou en opposition. C’est une façon de relier les générations entre elles, à travers le sentiment d’appartenance à une histoire, une culture, un clan. Cela peut se révéler très fort dans les cas d’exil. On retrouve dans certaines familles contemporaines, des enfants  qui découvrent, sur le tard, qu’ils ont des origines juives, par exemple. Plus personne ne se rappelle depuis plusieurs générations qu’ils sont juifs, et pourtant la famille continue de cuisiner des plats typiquement judaïques. »

Du gavage à la restriction

« J’ai des souvenirs de gavage lors de réunions de famille, à en être malade. La fête peut se transformer en cauchemar. Ca se retourne contre le plaisir. Cela devient presque un instinct de mort. »

« A une lettre près, nourrir ce n’est pas loin de mourir. »

« J’ai un problème vis-à-vis de la quantité. Si j’estime qu’il n’y en a pas assez, je suis très en colère. Alors que si ce n’est pas bon, ce n’est pas grave. »

« On peut être dans une recherche de pureté en sélectionnant ses aliments ou en refusant la nourriture. »

« Comment explique-t-on le fait que certaines personnes fassent des jeûnes prolongés de plusieurs jours ?

Le Café Psy : « Le rapport à la nourriture est très individuel. Choisir de manger ou ne pas manger, manger seul ou à plusieurs : Cela parle aussi du rapport qu’on entretient avec son propre corps. Dans beaucoup de cultures ancestrales (le ramadan chez les musulmans, le carême chez les catholiques), le jeûne est présent comme quelque chose qui a trait à la santé, ça nettoie. Symboliquement, le jeûne  contient aussi l’idée de purification, qu’il soit religieux ou pas. Dans pas mal de cas, il ne l’est d’ailleurs pas. On retrouve cette volonté de contrôle, vouloir prendre le pas sur le corps, les sensations.  Contrôler ce qu’on va manger  comme pour contrôler ce qu’on va ressentir. Poussé à l’extrême, c’est ce que l’on peut trouver dans l’anorexie mentale. »

Le contrôle

« Mon père nous disait : « Aussi longtemps que vous mangez à ma table, c’est moi qui décide. »

« A 12 ans, j’ai eu un tuteur. Pour faire tomber toute défense, pendant une période, j’ai subi des privations de nourriture. En diminuant l’apport calorique, on perd la possibilité de rebondir ou de se révolter. »

Le Café Psy : « La nourriture, c’est d’abord et avant tout la survie. Si on n’avait pas de quoi manger, on n’aurait pas de quoi penser. Notre esprit ne serait occupé qu’à trouver de la nourriture. Etre privé de nourriture, c’est donc être privé de capacité à penser. C’est aussi libérer son esprit du besoin primaire de se nourrir. »

« Quand je fais à manger pour les amis ou pour l’être aimé, j’ai la sensation qu’ils vont m’appartenir. J’ai un pouvoir en déposant quelque chose dans le ventre de quelqu’un. »

Le Café Psy : « La nourriture sert aussi à exercer un certain contrôle. On pourrait dire que nourrir ou ne pas nourrir représente un droit de vie ou de mort. On met en balance la nourriture et le droit à être. »

« Ma mère m’a dit qu’elle nous avait affamé par peur de nous voir grossir. J’en déduis qu’elle a peut-être abusé de son droit de vie ou de mort, sans le vouloir ! »

Donner et recevoir

« Faire la cuisine, c’est donner de l’amour. Les deux fois de ma vie où j’ai voulu faire la cuisine pour mes parents, ça a été un désastre culinaire. J’avais 12 ans, j’avais fait un diplomate. C’était une espèce de gloubi boulga. Dix ans plus tard, j’invite mes parents à dîner et je fais des perdreaux au curaçao. J’ai mis du curaçao bleu au lieu d’orange… Du coup, c’était vert moisi. C’était pas mauvais, mais hallucinant à regarder ! Je fais mieux la cuisine pour mes enfants que pour mes parents. »

« Nourrir sa famille au quotidien et recevoir des amis c’est différent. Avec mes enfants, il se joue quelque chose de la transmission. Je les nourris de mon amour. Pour mes amis, il faut que ce soit bon, que j’en sois fier et que ça soit digne de l’amitié que je leur porte. »

« Je nourris mes enfants mais ma fille me reproche que ce ne soit pas « sophistiqué » comme lorsque j’invite des amis. Depuis je fais de réels efforts, et on fait la cuisine ensemble. Ils prennent plus de plaisir à préparer et manger. »

« Les fêtes religieuses sont très marquées par la nourriture, dans ma famille. L’année dernière, j’étais en Angleterre à la date d’une de ces fêtes. J’avais envie de retrouver le goût de chez moi. J’ai cuisiné toute la journée certaines spécialités pour mes amis. Une dame était très surprise que je passe tant de temps à cuisiner. »

« J’aime beaucoup recevoir, en même temps, je sens que je joue quelque chose de moi là-dedans. Quand les gens se mettent à table, j’attends un retour, qu’on me dise : « ah c’était super bien ! ». »

« Quand je cuisine quelque chose et que j’aime le manger, je me dis : « oh c’est bon ». Je n’attends pas que les autres me le disent! »

« La nourriture c’est aussi le partage de la joie. Lors d’un voyage en train avec des amis pour partir en vacances, on a fait le planning de ce qu’on allait manger chaque jour. C’est un voyage inoubliable, tout le monde riait. Avant même de manger, le partage était déjà là. »

Masculin / féminin

« Dans ma famille, la nourriture, c’est toujours le lieu des femmes, là  où elles ont le pouvoir. Ma mère m’a un peu appris à faire à manger mais c’était limité. Aujourd’hui beaucoup d’hommes font très bien la cuisine. Pour moi, cela reste quand même attaché au lien maternel. »

« Lors des réunions de famille, les trois mêmes bonnes femmes se mettent toujours à faire la bouffe pour tout le monde. Elles sont comme prisonnières de ces rôles qu’elles ont accepté de jouer . »

Le Café Psy : « Peut-être est-ce à la fois le rôle qu’elles se donnent et celui qui leur est attribué. »

« Pour ma mère, faire à manger était synonyme de corvée. »

« J’ai des copines qui ont des amoureux qui leur font des supers plats. Ça ne me fait pas du tout envie. Cuisiner est mon arme de séduction. S’il me la prend, je ne pourrai plus le séduire et l’impressionner. C’est comme s’il me piquait mon rouge à lèvres et mes talons aiguilles. »

Le Café Psy : « Certaines femmes vivent la nourriture comme une captation du pouvoir, puisque ce sont elles qui nourrissent les enfants. Bien souvent, les hommes font la cuisine pour des soirées spéciales alors que les femmes font du nourrissage. »

Réconfort

« Il y a des aliments fidèles sur lesquels on peut compter à tout moment quand il n’y a plus rien dans le frigo. Je mange des Country Store depuis 35 ans. »

Le Café Psy : « C’est la nourriture fidèle et contenante ».

« Quand j’ai besoin d’être régressive intérieurement, je mange des coquillettes. A ce moment-là, il faut qu’on me laisse tranquille ! »

« Dans certains cas, la nourriture calme et compense. Le corps est aussi une armure. Si je m’enveloppe c’est pour me protéger. »

Langage universel

« Lors d’un voyage en Inde, les gens m’ont nourri. J’ai passé un quart d’heure dans une bijouterie et le vendeur a appelé un vendeur de rue pour me donner à manger. Puis dans un bus bondé où c’était la bagarre, j’ai donné de l’eau à un enfant et ils m’ont, de suite, acceptée et partagé leur repas avec moi. Ces moments de partage étaient très forts. »

Le Café Psy : « Quand on ne parle pas la même langue, manger constitue un lien au-delà des mots. »

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