Au coeur des secrets de famille – Verbatim

Le Café Psy du 04.06.15

psyG ovaleNous avons noté que le thème du secret de famille a suscité chez les participants beaucoup d’intérêt mais aussi beaucoup de silence. Comme si le sujet lui-même avait imposé le silence.

Transmission générationnelle

« Avant que mon père décède, mon frère m’appelle pour me dire que le psychiatre lui a révélé qu’il possédait un grand secret. Je suis alors prise de panique. Je réalise que mon père me l’avait confié il y a longtemps, mais je l’ai oublié.
Je pense que je sais, mais je ne sais pas quoi. »

Le Café Psy : « En apprenant qu’il y a un secret, on peut rêver qu’il nous a été transmis, alors que ce n’est pas le cas. Parce que l’inconscient connait les secrets même quand le conscient les ignore. Certaines théories soutiennent que les secrets se transmettent d’inconscient à inconscient et d’une génération à l’autre. Ainsi, tous les inconscients des générations précédentes sont quelque part en nous. On saurait des choses qui viennent de générations plus anciennes. »

« Comment sait-on qu’il y a des secrets dans une famille ? »

Le Café Psy : « Quand les secrets sont de vrais secrets et que les faits remontent des générations précédentes, les secrets s’expriment par des symptômes. C’est très souvent en cours de thérapie que des choses commencent à émerger. Au lieu de rester dans le mythe, on commence à interroger le réel, notamment en allant chercher dans la généalogie.

« Vers 8 ans, mon père avait des maîtresses dont une attitrée. Un jour, elle est venue à la maison. Ce jour-là, je ne suis pas allée à l’école, alors que je ne manquais jamais. Elle était venue dire à mon père qu’elle était enceinte. Ma sœur n’en sait rien, elle doit se trimbaler ça. »

Injonction du silence

« Enfant, ma cousine a été violée par son grand-père. Elle l’avait complètement enfoui et tout est ressorti quand elle a accouché. Elle l’a dit à ses parents et ils lui ont imposé le secret. Jusqu’au jour où son frère a parlé, en le dévoilant à toute la famille. Elle s’est suicidée deux mois après. On aurait peut-être pu l’aider si le secret avait éclaté plus tôt. »

Le Café Psy : « Quand l’injonction du secret est imposée par la famille, il peut devenir impossible pour la victime de se reconstruire. »

« J’avais une amie très proche à l’école élémentaire. Un jour, elle m’a dit que son frère la touchait et la caressait. Je ne sais pas ce qu’elle a dit à sa mère, mais du jour au lendemain, on ne s’est plus parlé car sa mère avait dit que je n’étais pas fréquentable. »

« Mon frère jumeau a fait de l’anorexie à l’adolescence et a été hospitalisé. A la maison, on ne pouvait pas en parler. On faisait comme si ça n’avait pas existé. Cela fait 35 ans et c’est resté tellement tabou que j’ai découvert que la femme avec qui il vit depuis huit ans n’était même pas au courant. »

Le Café Psy : « C’est exactement de cette façon que l’on construit un secret. Un évènement génère une culpabilité et par voie de conséquence du non-dit.  Le système s’élabore et potentiellement se transmet. »

Révélation

« C’est  difficile de parler des secrets. »

« Avouer un secret témoigne d’une confiance et de la possibilité que celui-ci soit répété. »

« Est-ce qu’il est toujours préférable de se libérer de son propre secret ? »

Le Café Psy : « C’est une décision totalement personnelle. Toutes les familles sont des clans, mêmes celles qui sont disloquées. La thérapie permet déjà de se dissocier de la famille, du poids des injonctions familiales et des rôles qu’on nous a fait jouer. Une fois qu’on est soi-même un peu plus libre par rapport à ses origines, on peut mieux se positionner. »

« Révéler un secret ou le trahir, c’est sauver des gens et en tuer d’autres. Il y a des dégâts dans tous les cas de figure. »

Le Café Psy : « Plus c’est inconscient et plus c’est massif, et plus sa liberté de choix se restreint. On est soumis aux injonctions sans savoir pourquoi. »

« Ce qui est compliqué, ce sont les injonctions non formulées. Le « c’est comme ça », c’est impossible à démêler ».

Le Café Psy : « On peut fantasmer tout ce qu’on veut sur les secrets non énoncés. »

Fantasme ou réalité ?

« Qu’est-ce qui est grave, le secret ou l’évènement ? Quand on est seul détenteur de quelque chose et qu’on n’en parle pas, on finit par ne plus savoir si c’est vrai ou pas. »

Le Café Psy : « On a l’évènement en mémoire, mais à force de ne rien dire, on en vient à douter de ce que l’on a vécu. Est-ce du fantasme ou la réalité ? Freud lui-même, à propos de l’hystérie, est allé jusqu’à changer sa théorie en affirmant que les abus sexuels que se remémoraient les hystériques n’étaient pas forcément une réalité mais du fantasme. En ce qui le concerne, certains de ses détracteurs disent que c’était une façon de protéger les pères. Mais il n’en reste pas moins que la mémoire est à la fois capricieuse et inventive. Il y a toujours cette suspicion et ce doute qui existe. »

Déni

Le Café Psy : « Lors de la révélation du secret, on peut se faire bannir. Plutôt que le bannissement, certains choisissent les faux-semblants. Ça peut d’ailleurs ne même pas être un choix : le secret empêche de penser et de dire. Je ne peux pas penser ce que je ne peux pas dire. Pour certaines personnes, ça les empêche fondamentalement d’avancer, voire même d’apprendre. Ce qui est important c’est de voir en quoi le fait de ne pas dire a des conséquences pour soi et pourquoi ce secret a été mis en place. »

L’inavouable

« J’ai un ami dont la grand-mère avait un fils exilé en Argentine. Il meurt là-bas et d’un commun accord, l’ensemble de la famille fait croire à la grand-mère que le fils est toujours vivant. Mon ami était chargé d’appeler tous les ans la grand-mère en se faisant passer pour son fils. Elle a disparu sans jamais savoir. »

Le Café Psy : « C’est presque le négatif du secret de famille. Toute la famille crée un secret et est complice, et une seule personne n’est pas incluse. La question de la révélation du secret est une question extrêmement profonde et vaste : pour qui, pourquoi, comment ? A un moment donné, il faut parler un minimum aux générations d’en dessous pour ne pas qu’ils subissent quelque chose dont ils ne sont pas responsables. Ca soulève l’appréhension de chacun. Il est difficile de savoir, une fois que le temps a commencé à passer, quoi faire de ces secrets et quels sont les impacts que ça va avoir. Ils sont différents pour chacun. Tout dépend à qui appartient ce secret. »

« Il y avait une histoire de pharmacien dans ma famille. Je ne savais pas trop qui c’était quand j’étais jeune, car on n’en parlait pas. Adulte, ce pharmacien me gênait dans mon histoire, j’en venais à me demander s’il ne pouvait pas être mon père. J’ai interrogé ma mère, qui m’a avoué qu’il avait été son amant, deux ans après ma naissance. Ça m’a beaucoup aidé. Mes sœurs n’ont jamais voulu en parler, peut-être pour protéger mon père. »

Le Café Psy : « C’est de l’ordre de l’indicible pour certaines personnes. Il y a des secrets qui ne sont plus des secrets mais  on n’a que la partie émergée de l’iceberg. Avant, la société était moins permissive. On pourrait faire l’hypothèse qu’il y a moins de secrets qui passent les générations qu’il y a 50 ans car on se confie beaucoup plus et il y a un peu moins de tabous. Mais il reste des sujets sur lesquels on fait des allusions sans vraiment dire. Ainsi, on maintient le mythe familial. »

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