Hauts les corps ! – Introduction

Le Café Psy du 05.01.17

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Notre corps, c’est nous ! C’est nous physiquement car il est le siège de nos sensations, mais aussi psychiquement car il est le contenant de notre identité. Comment se construit ce rapport à notre corps ?

Premiers contours du corps

Dans ses premiers jours, le bébé est enroulé sur lui-même, bras pliés, jambes ramenées sous le bassin. Ses réactions corporelles et affectives sont amalgamées.Tout au long de ses six premiers mois, il va découvrir le mouvement et la différence entre lui et l’autre, puis les autres. De fait, dans sa dépendance pour survivre, il ne peut s’appuyer que sur les sensations qu’il ressent en lui et celles qu’il découvre à la surface de sa peau par les caresses, le toucher du corps de la mère ou de la fonction maternante. Ce sont les interactions qu’elle a avec le bébé qui vont venir apaiser et étayer les sensations corporelles. Dans ce peau à peau se dessine pour le bébé les premiers contours, les premières représentations d’un corps et d’un moi différent de l’autre.
C’est à ce moment que s’installe en lui l’idée même d’avoir des bras, des jambes, des pieds, qu’il attrape d’ailleurs avec joie et vigueur, et des mains pour toucher toutes les parties de son corps. Comme ses parents. Comme tous les humains. Il acquiert une première vision de ce que F. Dolto appelle le schéma corporel, c’est à dire le corps comme signe d’appartenance à la race humaine avec deux jambes, deux bras, etc…

« Le stade du miroir »

Pour vivre son corps comme un corps entier et séparé, l’enfant a besoin de le « voir ». C’est à dire de se reconnaître dans le miroir. Et ça s’appelle… le stade du miroir. Il se développe entre 6 et 18 mois et se déroule par étapes. Paradoxalement, c’est avec l’image de l’autre que le bébé comprend le principe même du miroir. Car il reconnaît plus facilement ce qu’il a déjà vu, c’est à dire ses parents. Dans un second temps, il prend sa propre image pour celle d’un autre enfant qui a sa réalité propre. C’est pourquoi on voit les petits toucher leur reflet, essayer de l’attraper. Jusqu’à contourner le miroir pour chercher derrière ce petit copain inconnu. Enfin, l’enfant comprend qu’il s’agit de lui, bien souvent parce que l’adulte le désigne dans la glace. L’enfant entend la voix derrière lui et voit l’image devant lui. Il a entre un an et un an et demi, et possède enfin les facultés de reconstituer la scène et de comprendre que ce qui se déroule devant ses yeux se passe en fait autour de lui et surtout avec lui.
Il s’agit d’un moment essentiel dans son développement psychique. Il prend conscience de son unité corporelle, et cela avec le regard d’un parent qui lui dit : « regarde, c’est toi. » Il s’inscrit définitivement dans son corps biologique.
Pour Jacques Lacan, le stade du miroir est facteur de jubilation pour le petit : il peut contempler cette unité corporelle même s’il ne la maîtrise pas encore physiologiquement. Pour Françoise Dolto, au contraire, l’épreuve est douloureuse, vécue comme une limitation : l’enfant passe d’une image inconsciente du corps, sans limites spatiales, à un assujettissement à l’image observée. Pour notre part, il nous semble qu’ils pourraient avoir tous deux raison.

Le regard de l’autre

L’image et la sensation de notre corps se construisent d’abord et avant tout dans le regard de l’autre. L’enfant perçoit très bien l’admiration de sa mère pour son image à lui quand elle le désigne dans le miroir. Ainsi, petit à petit, l’enfant va s’identifier à l’image que les autres ont de lui, d’abord les parents, et plus tard les copains. Autant dire qu’il est essentiel d’avoir des regards positifs sur soi dès les premiers jours de notre vie ! Nous ne le rappellerons jamais assez. Mais le rôle des parents sera tout aussi essentiel pour aider l’enfant à se différencier de cette image et accéder à son sentiment de singularité et de totalité. Corps et psyché.

Le corps adolescent

Puis l’enfant grandit, grandit… Et le corps à l’adolescence, quelle histoire ! F. Dolto décrivait les affres de l’adolescence en parlant de « complexe du homard ». Le homard perd sa première carapace et reste ainsi sans défense, le temps que sa carapace « adulte » se forme et de développe. L’adolescent vit un phénomène assez similaire, il perd ses formes d’enfant, se retrouve démuni et vulnérable, plus vraiment enfant mais pas tout à fait adulte. Son corps change, sa future carapace est en cours de développement. C’est alors que les mécanismes d’identification et d’appartenance prennent toute leur importance et tout leur sens. En l’absence de carapace, c’est l’apparence qui va prendre le relais. Il faut « vite » se forger une image. Alors les vêtements, les signes et les codes d’appartenance à un groupe ou une bande viennent suppléer la carapace en mutation dans l’attente d’une identité structurée et stable. A ce moment de la vie, et peut être plus que jamais, le regard des autres, la reconnaissance des pairs constituent un enjeu vital. L’image de soi se refonde ainsi dans le regard des autres, s’appuyant néanmoins sur les premiers regards de l’enfance.

Le corps imaginaire

Mais le corps n’est pas qu’une question d’image. Il est certes notre identité apparente, outil de communication avec l’autre – qu’est-ce qu’il dit et qu’est-ce qu’il cache de moi ?
Mais il est aussi sensation, douleur, plaisir, désirs, émotions. Il nous renseigne afin que notre esprit prenne de meilleures décisions. A son tour l’esprit peut le calmer en décidant de respirer, de le soigner, de le nourrir. Autrement dit, corps et psychisme sont intimement liés.
Tellement liés que notre corps ne se contente pas d’être un corps réel. Il est aussi un corps imaginaire. Nous vivons en réalité avec deux corps ! Notre corps réel et notre image inconsciente du corps. Prenons-les dans l’ordre :
Le corps réel est celui des sensations. Il existe, mais il est sans doute aussi celui que nous connaissons le moins bien puisque, c’est un fait, l’image que nous percevons dans le miroir nous apparaît déformée. Déformée, nous l’avons déjà évoqué, par tous ces regards portés sur nous depuis l’enfance. Il se construit avec nos expériences et nos apprentissages physiques, constamment en évolution.
L’image inconsiente du corps est le corps des représentations. C’est à dire de la signification de nos sensations et de l’interprétation de notre image. Elle est une synthèse de nos émotions, de nos désirs, et de nos besoins physiques. Elle fonde l’idée que nous avons de notre apparence, c’est à dire, soyons claires, une idée fausse ! C’est l’image inconsciente du corps qui fait de notre corps un objet narcissique, positif ou négatif, selon notre histoire.

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