Ma mère et moi – Introduction

Le Café Psy du 02.02.17

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Pour aborder la question du lien que nous entretenons, adulte, avec notre mère, il nous faut revenir un peu sur celui qui nous a attaché à elle dès les premiers mois, voire dès notre conception.

Car, en effet, comment faire abstraction de cette réalité universelle : nous nous développons dans une fusion totale avec notre mère durant les neuf premiers mois de notre vie. Quoi d’étonnant, alors, à ce qu’il en reste quelque chose dans les années qui suivent, que ce quelque chose s’apparente au bonheur ou à la douleur ?

Ces mois de gestation nous maintiennent, nous petit foetus, bien au chaud, dans un accordage total avec notre mère. Nous sommes bercé par son rythme cardiaque comme par son rythme de vie, nous baignons dans sa chaleur, nous nous nourrissons de son sang, le tout dans une symbiose et un confort physiologique le plus souvent parfaits.

Quelle déception à la sortie ! Pourtant, quand tout va bien, la mère est là pour nous accueillir, remplir ces mêmes fonctions, et assurer la transition durant un temps.

Fonction maternelle et rôle réel

Car c’est bien là la fonction de la mère, poursuivre au dehors ce qu’elle a commencé au dedans : protection, nourrissage, enveloppement. De là à parler d’amour, il n’y a qu’un pas. En effet, nous l’avons souvent dit ici, pour le bébé, les besoins physiologiques et les besoins affectifs se confondent. Quand il boit du lait, il boit de l’amour, et quand le sein se refuse alors qu’il a faim, il se sent abandonné. Il en va de même avec les soins du corps, qui s’apparentent pour lui à du jeu ou à des caresses, c’est à dire à du lien. C’est dire si ce lien mère enfant est intime ! Et si la fonction maternelle s’avère « essentielle », au sens ou elle fonde notre « essence ».

Cette « fonction » maternelle est à différencier du rôle réel de la mère auprès de son enfant. Le rôle maternel se situe du côté des comportements, alors que la fonction est inconsciente, non volontaire, issue de la nuit des temps. Elle est liée à l’identité sexuée et à l’expérience spécifique, pour la mère comme pour le bébé, de la grossesse. Tout comme, nous l’avons détaillé dans un Café Psy précédent, les fonctions paternelles sont celles de séparateur, de stimulateur et d’incarnation de la loi, celles de la mère sont, nous l’avons dit, protection, nourrissage, enveloppement et amour. La mère peut avoir un ォ rôle paternel, elle n’en aura jamais la fonction.

On le voit bien, la cohérence entre le rôle et la fonction seront déterminants dans les liens futurs.

D’autant que, plus l’enfant grandit, plus cela se complique.

L’évolution du lien

Dans la relation mère-enfant, tout commence par la dépendance. Il est clair que les comportements d’une mère à l’égard de son fils ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux qu’elle aura à l’égard de sa fille, même bébé. De nombreuses expériences en psychologie montrent ainsi que nous le portons, l’allaitons et lui parlons différemment selon qu’il est garçon ou fille. Consciemment ou non, nous n’avons pas les mêmes attentes sur l’un ou l’autre sexe, en fonction de notre propre histoire ou du roman familial. Ainsi, l’enfant, selon son sexe ne vivra pas tout à fait la même dépendance.

Pour autant, garçon ou fille, aux alentours de six mois, le bébé vit une première étape. Il sort de la symbiose totale. Il a compris que sa mère était un être « séparé », avec une vie propre, qu’elle n’était pas une partie de lui. Enfin si tout va bien. La réalité et la nature de cette première séparation contribuera à la qualité de la relation. Et la responsabilité en incombe à l’adulte.

Une mère pour qui ce renoncement à la symbiose est difficile pourra donc tenter de la maintenir sous d’autres formes. A contrario, telle mère pour qui, c’est justement cette symbiose qui est difficile, pourra quant à elle, éprouver un soulagement non dénué d’impact. Dans le trop comme dans le trop peu, la relation peut se déséquilibrer.

L’incontournable oedipe

Dans les années qui suivent, pour devenir lui-même, l’enfant s’efforce d’abord de devenir comme l’autre, le plus souvent sa mère, son premier objet d’amour, puis, pour garder cet amour, de répondre à ses demandes.

Si la première identification en miroir se fait avec la mère, le petit garçon se rend vite compte, vers deux ou trois ans, de la différence anatomique qui le renvoie au père et l’aide à se dégager de l’état primaire de fusion avec sa mère. Il doit se désidentifier de la mère pour accéder à son identité masculine. En tant que garçon, je suis différent d’elle, même si je l’aime, elle ne peut être mienne. Mon père me le signifie, je dois la quitter pour partir à la « conquête » d’une autre femme. Cette étape, l’oedipe, marque la relation du fils à la mère et bien souvent du sceau du regret.

Pour la fille, l’enjeu est différent, il est de l’ordre de la séparation. En l’absence de différence anatomique, la mère idéalisée risque de rester un objet d’identification, sans séparation. Pourtant, la conquête interdite du père impose à la petite fille de se différencier, et donc de se séparer, d’être pareille, c’est à dire une femme, mais « ailleurs », c’est à dire une « autre » femme. Ce double mouvement engendre à la fois un conflit intérieur, être différente et similaire, et une ambivalence affective entre l’amour et la haine, au prix de la culpabilité.

A l’âge adulte

La relation d’adulte avec notre mère restera marquée de ces empreintes. Sans compter tout ce que nous n’avons pas dit ici du lien quotidien qui nous a uni à elle dans l’enfance, qu’il soit fait de bienveillance, de complicité, d’indifférence voire de maltraitance.

Il est frappant de constater combien, en sa présence, même à un âge avancé, le risque nous guette de redevenir… un enfant ! Nous régressons instantanément et c’est un vrai travail de résister à cette tentation de l’enfance, de quelque ordre qu’elle soit.

Lorsque nous sommes petits, ce sont les adultes qui portent la responsabilité de la nature du lien. Nous ne pouvons que le goûter ou le subir, selon les cas. Mais en grandissant ?

Eh bien, ce n’est pas si facile de s’en dégager. D’autant plus qu’au fond, nous sommes nombreux à avoir quelques griefs plus ou moins importants, contre notre mère. La relation va donc dépendre de notre façon de gérer ces conflits internes, entre culpabilité et refoulement.

Pour certains, la relation fusionnelle perdure, parfois à notre corps défendant, parfois avec notre complicité active. « Ma mère, c’est ma meilleure amie ! »

Pour d’autres, il s’agira de débordements d’agressivité à chaque rencontre, souvent disproportionnés par rapport à la situation présente. Mais c’est l’enfant en nous qui exprime alors sa colère.

A l’inverse, nous sommes quelques uns à traiter notre mère comme une enfant, là encore avec sa complicité implicite. Un bon moyen de lui pardonner ses défaillances.

Ou encore, la mère reste l’image idéale, toute puissante, effrayante, celle que l’on n’ose contredire ou affronter.

Les filles pourront être traitées ou se conduire en rivale et les garçons chercher leur mère dans leur épouse, sublimant ainsi le lien oedipien.

Dans tous les cas, entre trop l’aimer ou trop la haïr, comment trouver la bonne distance ? C’est en renonçant à la mère idéale, en acceptant de l’aimer pour ce qu’elle est, sans lui en vouloir de ce qu’elle n’est pas, que nous pourrons sortir de l’emprise et accepter un certain niveau de dépendance, sans aliénation. En définitive, il suffit d’humaniser notre mère ! Dit comme cela, ça semble tellement simple, et pourtant, c’est presque le travail d’une vie.

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