Les chemins de la transmission

Le Café Psy du 07.06.18

Chacun d’entre nous est un maillon dans la chaîne des générations. La transmission familiale, c’est le métal dans lequel cette chaine est fondue, maillon après maillon.

La transmission assure une part importante de notre identité individuelle ainsi que notre sentiment d’appartenance et de légitimité.

Qu’hérite-t-on de nos parents, de nos grands-parents, et de tous ces ancêtres que nous n’avons pas connus ? Qu’allons-nous transmettre, à notre tour, aux maillons suivants que sont nos enfants ?  

Toute famille est en quête d’éléments identificateurs pour lutter contre les fantasmes archaïques d’éparpillement ou de dissolution. Elle cherche à se tisser une enveloppe délimitante et contenante qui s’étaie autant sur le réel que sur le symbolique. C’est cela qui se transmet.

Le champ de la transmission familiale est infini. Au niveau conscient, on y trouve le patrimoine génétique, l’histoire familiale avec ses figures tutélaires positives ou négatives, la culture familiale avec ses valeurs, ses habitudes et traditions, ses savoir-faire et ses principes éducatifs, ainsi que les biens matériels, dont certains ont une portée symbolique particulière comme une bague de fiançaille ou une maison de famille…

Nous aurons certainement l’occasion de reparler de ces transmissions conscientes au cours de la soirée, mais dans cette présentation, je m’attacherai surtout à la transmission psychique qui, elle, est essentiellement inconsciente. Or elle peut être à l’origine de souffrance intérieure ou de répétitions traumatiques, autant que d’aptitude au bonheur ou de destins brillants.

Quels sont les processus psychiques en jeu dans cette transmission inconsciente ? Comprendre ces processus, c’est comprendre ce qui se transmet, par quels moyens cela se transmet, et surtout, dans quels buts. Trois questions, donc : quoi, comment, pourquoi.

Quelles transmissions inconscientes ?

Le «  quoi « , d’abord. Que transmettons-nous au juste sans le savoir ?

La réponse est à la fois simple et complexe : nous-même ! Chaque famille, chaque parent, transmet son rapport au monde externe et sa façon d’organiser son monde interne. Certaines transmissions s’effectuent au niveau de la famille, d’autres au niveau individuel de parent à enfant.

Au niveau de la famille, on transmet d’abord le mythe familial, c’est à dire l’ensemble des croyances et espérances partagées par tous les membres à propos de ce qui leur est commun et des relations qui les unissent. Ces croyances échappent à toute critique ou remise en question.

Ensuite, la famille transmet ce que les psychogénéalogistes appellent «  le grand livre des comptes « , dans lequel sont répertoriés les mérites et les dettes de chacun, ce qui a été donné par les uns et reçu par les autres, autant au niveau matériel que symbolique. Chaque génération aura pour devoir de rééquilibrer les comptes des précédentes.

C’est ainsi, par exemple, que par les fils d’une loyauté invisible et inconsciente, certains ressentent le besoin de réparer une dette des générations passées, ou de restaurer l’honneur, la fierté ou la fortune d’une famille, sans toujours bien savoir pourquoi.

Au niveau individuel, c’est à dire du parent ou grand-parent directement à l’enfant, la transmission se porte sur une foule de choses que je présenterai dans un ordre qui va du presque conscient au très enfoui :

– Les traits de personnalité, les fantasmes, les mécanismes de défense des parents et grands-parents …

– Les croyances sur soi, sur les autres, sur le monde, sur la vie… Certaines sont aidantes, d’autres se révèlent limitantes ou contraignantes.

– Les interdits fondamentaux, les règles morales, les idéaux, qui peuvent parfois prendre la forme d’injonctions implicites.

– Les états psychoaffectifs, les émotions – culpabilité, honte, peur, colère, aigreur, mais aussi sécurité, confiance, plaisir, détente… Et bien sûr, on transmet également son propre rapport aux émotions : lesquelles sont acceptées ou interdites ? Lesquelles sont valorisées ou craintes ?

– Les projections des parents sur l’enfant : «  Ce que j’ai fait, tu le feras « .  » Ce que je n’ai pas réussi, tu le réussiras «  – ou l’inverse :  » ce que je n’ai pas réussi, tu ne le réussiras pas non plus « . Ou encore  » Ne me dépasse pas « .

– Les attentes, comme remplacer un enfant décédé, assurer le soutien d’un parent, etc.

-Et enfin, on transmet aussi beaucoup de non-dits, de secrets de famille, dont l’enfant n’a aucune idée mais qui agissent en lui. J’y reviendrai.

Par quels processus ?

Passons au «  comment « . Les processus de transmission psychique sont essentiellement inconscients et non verbaux. Dans l’émission comme dans la réception. Les choses passent par les intonations, les charges émotionnelles même contenues, les odeurs, les messages subliminaux, le langage du corps. Autant de signes qui viennent même parfois démentir ce que notre conscient essaie désespérément de transmettre par les mots.

C’est particulièrement vrai dans la transmission des secrets de famille. Il s’agit généralement d’événements traumatiques, chargés de honte, de culpabilité ou d’horreur, dont la révélation menacerait l’unité du clan : viol, inceste, trahison, condamnation judiciaire, enfant adultère, entre autres exemples. Ce qui a été vécu n’a pu être assimilé et été enfermé dans une sorte de « placard psychique ». Pourtant, alors même qu’il reste non-dit, le secret va se transmettre aux générations suivantes à travers des réactions émotionnelles, corporelles ou comportementales inappropriées. L’enfant sentira confusément qu’il existe quelque chose d’important qu’il lui est interdit de connaître et même de penser. Comme il a besoin de mettre du sens sur tout, il interprètera ces réactions «  bizarres «  au regard de ses propres expériences de vie, c’est à dire mal, transformant ainsi à son tour le secret en trouble psychique.

Mais revenons au processus lui-même.

-La transmission psychique s’appuie essentiellement sur trois points : l’identification de l’enfant à son parent qui lui permet de se construire dans les premières années de sa vie. Les projections que parent et enfant font l’un sur l’autre. Et le principe de loyauté ; une loyauté invisible qui nous lie d’abord à nos parents mais aussi aux générations passées.

Par ailleurs, non seulement la transmission psychique est inconsciente, mais elle implique en outre un processus de transformation : ce que l’enfant reçoit n’est pas exactement ce que l’adulte transmet. Loin d’être passif, l’enfant transforme tout ce qu’il reçoit à la lumière de ce qu’il est et de ce qu’il sait déjà du monde. Autant dire que nous n’avons en réalité qu’une idée très imparfaite de ce que nous transmettons et que l’essentiel nous échappe complètement !

Quels enjeux ?

Enfin le «  pourquoi « . Quel est l’objectif de la transmisson familiale ?

Les enjeux se situent eux aussi autant au niveau global, familial, qu’au niveau individuel.

Au niveau familial, ce qui nous est transmis cèle notre appartenance au clan. Cela participe, génération après génération à la construction de la famille en tant qu’unité avec une identité propre, une histoire, des rites, une dynamique.

Au niveau individuel, c’est un peu la même chose. La transmission contribue à construire notre identité. Elle nous inscrit dans une filiation, un groupe familial auquel on se sent appartenir et dans lequel on peut, parfois, se sentir fort ou protégé. Elle dessine les contours de notre personnalité, de notre rapport au monde. D’autant plus que nous avons passé toutes ces transmissions au filtre de nos propres perceptions. En transformant ce que nous avons reçu, nous nous le sommes approprié.

Pour finir, les transmissions familiales visent à réparer ce qui est resté en souffrance dans les générations passées : les deuils non faits, les ruines, les exils, les crimes commis ou subis, entre autres exemples. On nous transmet une place, un rôle, dont nous sommes rarement conscient mais que nous nous appliqueront parfois notre vie durant à remplir. Car, ce qui est en jeu dans ces processus de transmission, c’est le besoin de l’enfant de recevoir amour et reconnaissance en répondant aux demandes des parents et, plus largement, de toute la famille. Identité, appartenance, loyauté, amour, reconnaissance sont donc les enjeux majeurs, parfois tyranniques, de la transmission familiale.

Comment s’en libérer ?

Quelles qu’elles soient, les transmissions familiales sont indispensables à notre développement. Certaines seront de véritables moteurs d’équilibre, de réussite et de bonheur. D’autres se révèlent des freins, voire des carcans.

Pour en sortir, il est nécessaire de replonger dans notre histoire personnelle autant que dans notre histoire familiale afin de mettre en lien nos souffrances, nos répétitions ou nos symptômes avec cette histoire. Ainsi, nous donnerons du sens à nos choix et nous pourrons rendre à chacun ce qui lui appartient et garder ce qui nous relie à notre famille sans nous entraver.

 

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