C’est quoi, le bonheur ?

Le Café Psy du 10.01.19

Comment définir le bonheur ? Selon Kant, c’est impossible car le bonheur n’est pas un idéal de la raison mais un idéal de l’imagination. Chacun d’entre nous aura donc sa propre réponse, intime, en lien avec son histoire, sa culture et ses valeurs. Instant fugace pour les uns, construction au long cours pour les autres, produit de la mémoire ou de l’imagination, joie de l’esprit ou bien du corps.

Qu’en disent les philosophes ?

Depuis la nuit des temps de la pensée, les intellectuels se penchent sur la notion du bonheur. Avec, au centre, la question du désir, que ce soit, nous allons le voir, pour le satisfaire, pour le contrôler, ou pour l’éradiquer.

Prenons les choses dans l’ordre.

Le bonheur est dans la satisfaction de tout nos désirs telle est la thèse hédoniste qui fait du plaisir la valeur suprême, le but de la vie. Bonheur égale plaisir. Plaisir égale satisfaction de tout désir, quel qu’il soit.

Le bonheur est dans la satisfaction de certains désirs seulement : C’est l’épicurisme. Epicure, qui n’était pas, loin s’en faut, le jouisseur que dépeint sa légende, propose lui une sorte de « diététique des plaisirs », un bonheur qui résiderait dans la satisfaction de nos besoins naturels et dans l’éloignement des désirs vains (richesse, ambition), sources de souffrance. Le bonheur épicurien se trouve dans  « l’absence de douleurs dans le corps et de troubles dans l’âme ».

Le bonheur est dans la restriction de nos désirs : Les stoiciens sont eux ancrés dans le principe de réalité : d’un côté ce qui dépend de nous, de l’autre ce qui ne dépend pas de nous. Adieux les luttes inutiles, bienvenue à la suprématie de la raison, voie d’un bonheur… stoïque. Il suffit ici de limiter nos désirs à ceux qu’il nous est possible satisfaire. Et d’accepter « stoiquement » la souffrance et la douleur lorsque nous ne pouvons pas les maîtriser.

Le bonheur est dans la suppression du désir : C’est la théorie de Shopenhauer mais aussi du bouddhisme et du christianisme. Le premier affirme que la satisfaction totale du désir est impossible et que la quête étant sans fin, on ne peut que chasser le désir pour espérer un peu de repos.

Moins pessimiste, le bouddhisme prêche le renoncement car tout désir serait source d’attachement donc de souffrance. Le détachement mène au Nirvana, c’est à dire au repos de l’âme.

La religion chrétienne, elle, a chassé du Paradis, du bonheur donc, Adam et Eve pour les punir d’avoir cédé à la tentation, autrement dit, d’avoir satisfait leur désir. Nous expions donc ici-bas leur pêché originel, jusqu’au Jugement dernier. Une vie d’ascèse et de renoncement est une promesse de bonheur à venir dans l’au-delà.

Le bonheur est dans la transformation des désirs : il s’agit là du concept freudien de sublimation. Avant lui, Platon et Nietzsche préconisaient déjà de transformer les désirs triviaux du corps en aspirations intellectuelles ou spirituelles. Freud affine le concept en introduisant la notion de l’inconscient. Selon lui, tout homme est l’objet de pulsions primitives, agressives ou sexuelles, inconscientes et interdites. L’énergie de ces pulsions sera donc déplacée vers des buts socialement acceptables comme le travail, la connaissance, la religion, la création, etc.

Contrairement à Nietzche qui ne croit pas au bonheur, Freud reconnait là un accès possible au bonheur. Cela dit, Freud étant plus socratique qu’hédoniste, analyser le processus de sublimation l’intéressait surtout en tant qu’outil de connaissance de soi. Le bonheur viendrait pour lui « par surcroît ».

On le voit, le bonheur a une histoire et n’a pas toujours été un idéal de vie, quelle qu’en soit sa définition. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que l’on commence à aspirer à une organisation politique du bonheur. Un droit d’être heureux qui passe par la libre pensée et la libre expression. De cette idée naît la déclaration universelle des droits de l’homme.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Après avoir été un état d’être philosophique, une promesse religieuse, et un projet politique, on pourrait dire qu’il est aujourd’hui non seulement un droit mais un devoir. Avec deux grands courants qui s’affrontent ou plutôt se côtoient. D’un côté la quête de développement personnel, le bonheur « intérieur », que proposent les psychothérapies et la psychanalyse, les philosophies orientales, la méditation, etc. Et de l’autre, toujours plus de bonheurs « extérieurs » à consommer sur place ou à emporter. L’être et l’avoir enfin réunis ?

De la difficulté d’être heureux

Pour autant, sommes-nous plus heureux que nos ancêtres ? Pas sûr, si l’on en croit l’usage exponentiel d’anxiolytiques ou d’antidépresseurs.

Nous ne sommes pas égaux face au bonheur. D’un simple point de vue biologique, déjà, certains produisent plus d’hormones du plaisir que d’autres. Mais surtout, nous n’avons pas la même histoire, pas les mêmes modèles, pas la même culture. Peut-on s’autoriser à être heureux dans une famille qui a connu de nombreux drames ? Ne vivrions-nous pas cela comme une trahison, par exemple ?

Qu’en est-il de nos peurs, quand nous avons connu nous-même des traumatismes ou des maltraitances ? Comment étaient reçus le plaisir et la joie quand nous étions enfant ? Chacun trouvera dans son histoire les sources qui favorisent ou freinent son accès au bonheur, qu’il soit pour un instant ou sur la durée.

Mais plus que tout, ce qui nous éloigne de la sensation de plénitude, c’est le manque. C’est l’enfant en nous, en quête d’amour fusionnel, en quête d’un objet d’amour qui le comblerait. Plus cet objet a manqué dans les premiers mois de la vie à travers une mère plus ou moins défaillante, plus cette quête sera désespérée, mais aucun de nous n’y échappe complètement. C’est la raison pour laquelle la satisfaction de nos désirs ne nous suffit jamais longtemps. Elle porte toujours en elle cet espace impossible à combler.

Le bonheur, c’est maintenant !

Alors comment s’y prendre pour être quand même heureux, de temps en temps ? Paradoxalement, c’est l’idée de la mort qui nous permet le bonheur. Si nous pensons à la mort lucidement, la vie, dans sa brièveté même, n’en devient que plus précieuse. Cela devrait nous pousser à être heureux sans attendre ! Sans attendre d’être ou d’avoir ce que nous espérons, sans attendre de régler certains problèmes, sans attendre tout court, puisque de toutes façons, le bonheur est par essence imparfait.

Parmi les droits que proclame la déclaration d’indépendance des Etats Unis, se trouvent la vie, la liberté et… la recherche du bonheur. Le droit à la « recherche du bonheur, » et non pas le droit au « bonheur ». Et peut-être ont-ils raison. Après tout, le bonheur n’est peut-être pas le but du chemin, mais le chemin lui-même. Le désir plutôt que la satisfaction du désir. André Comte Sponville le qualifie ainsi : « Le bonheur n’est pas un repos, c’est un effort qui réussit, un échec qui se surmonte. Il n’est ni dans l’être, ni dans l’avoir, il est dans l’action, dans le plaisir et dans l’amour. »

 

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