« Le prix de l’argent »

Le Café Psy du 07.04.19

Shakespeare posait la question d’être ou ne pas être. L’argent pose celle d’avoir ou ne pas avoir. Et si au fond, il s’agissait de la même question ?

Si l’on pousse les choses à l’extrême, ne pas avoir d’argent nous renvoit fantasmatiquement au risque de mort. Vais-je pouvoir assurer ma survie ? En avoir beaucoup, nous amène à douter de l’attachement des autres. M’aime-t-on pour moi ou pour mon argent ?

Sécurité matérielle contre sécurité affective. Mais réduire le rapport à l’argent à cette simple équation serait un peu réducteur.

L’argent n’existe pas. Aujourd’hui, nous pouvons passer une vie entière sans manier le moindre billet : gagné sous forme de virement, dépensé par carte bleue, y compris d’ailleurs lorsque l’on dépense de l’argent que l’on n’a pas.

L’argent ne représente rien en tant que tel. Il peut donc se charger de nos représentations personnelles et singulières. Il devient alors le support de nos pulsions, et l’incarnation de nos fantasmes. L’argent, c’est le rapport de chacun au monde, aux autres et à soi-même. Pulsions et fantasmes déterminent ce rapport.

Pulsions et fantasmes

A la pulsion de l’avidité, par exemple, répond le fantasme du sein intarissable. Gagner encore et toujours plus d’argent. Cela ne sera jamais assez. Jamais assez de sécurité, jamais assez d’amour.

A l’opposé, quels que soient leur niveau de revenus, certains sujets se retrouveront toujours en difficulté financière. On pourrait voir cela comme un maintien en situation de dépendance, un retour aux premiers mois de la vie.

Cette tendance est à ne pas confondre avec ceux qui se mettent, non pas en difficulté, mais carrément en danger financier. Ceux-là sont peut-être agis par un fantasme d’immortalité et de toute puissance qui se traduit par cette question : Jusqu’où puis-je aller trop loin ?

Donner, garder

L’argent peut symboliser aussi la capacité à donner ou à retenir, et renvoit à l’apprentissage de la propreté. Selon Freud, les excréments représentent le premier cadeau que l’enfant peut offrir à sa mère. En effet, vers l’âge de deux ans, le petit devient capable de retenir ses selles. Il comprend en même temps l’importance de celles-ci pour sa mère : signe qu’il grandit, témoignage de sa bonne santé. Il peut décider de les laisser partir dans sa couche, de les retenir jusqu’au pot, ou encore d’inquiéter sa mère (on pourrait dire punir) en les retenant plus que de raison. Il contrôle, donne, retient, échange (un caca contre des félicitations, par exemple).

De cette façon, l’enfant prend également conscience qu’il exerce un pouvoir sur son propre corps, mais aussi sur le monde. C’est ce rapport au contrôle, entre donner ou garder, que l’on retrouve dans le rapport à l’argent.

On pourrait dire que Harpagon et le fils prodigue sont les deux versions d’une même histoire : contrôler la relation à l’autre. Dans le premier cas, je ne donne rien et je contrôle tout. Dans le deuxième, je donne tout pour ne rien devoir.

Une symbiose symbolique

L’argent peut également apaiser notre désir de complétude. Ce qui nous ramène à la relation symbiotique avec la mère. Il s’agit ici de pallier les manques fondamentaux, d’oublier la séparation originelle. Cela peut se traduire par des achats compulsifs, jamais suffisants, toujours à renouveler, pour lesquels l’objet importe peu comparé à la satisfaction de l’acte d’acheter, de payer, de posséder. Pour se sentir, l’espace d’un instant, complet.
Mais la théorie psychanalytique est à mettre en perspective avec la réalité de l’environnement dans lequel on vit et, encore plus, avec le contexte cuturel, familial, et transgénérationnel dans lequel on a grandi.

L’expression populaire affirme que « l’argent n’a pas d’odeur.  » Or, nous savons que l’odeur est l’un des principaux générateurs d’émotion. Cela reviendrait donc à dire que l’argent n’a aucun lien avec les émotions. Nous faisons ici l’hypothèse, au contraire, que l’argent a bien une odeur pour chacun d’entre nous : l’odeur de l’enfance.

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